La responsabilité individuelle : « une excuse bien pratique pour les puissants »

La responsabilité individuelle : « une excuse bien pratique pour les puissants »

Le texte qui suit est le discours tenu par un militant de la Grève du Climat, lors de la « grève de la terre » du 27 septembre dernier, à Porrentruy. Durant la manif, le lycéen a rappelé que des changements systémiques sont urgents pour endiguer la crise climatique. Il a aussi affirmé que les injonctions à être écologiquement irréprochables, souvent faites aux « grévistes du climat », sont une technique du pouvoir visant pour discréditer le mouvement et faire oublier les vrais problèmes : la croissance économique sans limite, l’appétit insatiable des multinationales et de la finance, l’apathie des politiques face à une catastrophe qui menace l’humanité.

On fêtera bientôt le premier anniversaire du mouvement des « grèves pour le climat », qui ont commencé fin 2018 dans de nombreux pays. En Suisse, nous avons réussi à imposer le climat dans l’agenda médiatique et politique – c’est déjà beaucoup pour les enfants ou jeunes adultes que nous sommes pour la plupart !

Mais nous n’avons pas encore obtenu de grands changements de la part des politiques, alors même que la situation climatique est dramatique. Certaines personnes pensent que le changement ne peut de toute façon pas venir des politiques et que nous devons d’abord « nous changer nous mêmes », changer notre manière de consommer, de nous alimenter…

Pourtant, il est de plus en plus évident pour tout le monde que tous ces gestes individuels, bien qu’importants, sont dramatiquement insuffisants pour inverser la tendance. En effet, pendant que nous nous évertuons à être cohérent.e.s avec nous mêmes, les émissions de CO2 continuent d’augmenter, parce que notre économie reste une économie capitaliste : elle n’est guidée que par la loi de la croissance obligatoire et du profit maximal, dans le minimum de temps.

Il y a bientôt un an, Greta Thunberg le disait à la COP 24 : « Nous devons laisser les combustibles fossiles dans le sol ». Et pour cela, il ne suffit pas de se lancer dans le « zéro déchet » : il faut des mesures politiques, pour interdire les investissements des banques dans ces énergies, pour développer les énergies renouvelables, pour financer de meilleurs transports publics, une meilleure isolation des bâtiments, fournir des aides publiques aux paysans et leur permettre de se convertir rapidement à l’agriculture écologique, tout en leur assurant des revenus dignes.

C’est une excuse bien pratique pour les puissants, que de nous renvoyer sans cesse à notre responsabilité d’individus. À les écouter, il faudrait déjà être 100 % « zéro carbone » pour pouvoir oser revendiquer du changement… En somme, il faudrait vivre dans une grotte, isolé de tout, en s’éclairant à la bougie. Et alors là, on serait cohérent et on aurait le droit de manifester. Et encore ! La bougie émet quand même du CO2… Je ne sais pas s’ils sont sérieux, mais cet argument de l’exemplarité totale est en fait véritablement stupide.

Être cohérent et conséquent, c’est faire pression partout où c’est possible, pour que la transition écologique ait lieu rapidement. Les gouvernements et les grandes entreprises, principaux pollueurs du monde, se défilent sans cesse et refusent d’assumer leurs responsabilités, face à une situation devenue complètement flippante ! Flippante pour nous, car on y entrevoit la fin de l’humanité, ou du moins de la civilisation. Flippante pour eux, car cela révèle au grand jour leurs propres incohérences.

J’ai d’ailleurs amené avec moi une publicité que j’ai trouvée dans le journal et m’a à la fois mise hors de moi, à la fois m’a faite rire. Elle dit « Autruche /otʁyʃ/ nom (financier) : personne ou organisation ne voyant pas la nécéssité de croissance soutenable ; voir également : tête dans le sable. » Cette pub n’est pas seulement d’une stupidité profonde : elle est aussi un terrible aveu de faiblesse. À partir du moment où une entreprise de gestion de fortune se sent obligée de rappeler que la croissance est le seul modèle économique valable, c’est qu’elle sait que des forces opposées sont en mouvement. Ils ont peur de nous !

Au fil des mois, les discours de Greta deviennent d’ailleurs de plus en plus accusateurs envers les dirigeants. C’est aussi pour cela qu’elle commence à se faire durement critiquer en retour. Certaines personnes disent qu’elle fait sa « crise d’adolescence », qu’elle est juste hystérique, ou qu’elle se cherche une personnalité. Mais quelle indécence ! Quand on sait que cette jeune étudiante ne fait que répéter ce que les scientifiques nous disent depuis quarante ans au moins !

Je vous parle de Greta, mais cela s’applique à nous toutes et tous qui luttons pour le climat. Cette campagne de dénigrement contre Greta Thunberg et contre les jeunes qui manifestent en général est parfois le fruit de l’ignorance et de la stupidité. Mais elle a souvent un but conscient. Il s’agit de faire diversion, de nous faire oublier le vrai problème : cette crise climatique et environnementale si profonde. Et d’occulter aussi la responsabilité incontestable des dirigeants politiques, des multinationales et du système financier.

L’autre jour, j’ai vu sur Internet une caricature qui résume bien la situation. Le dessin disait : « Quand Greta montre la crise climatique, l’imbécile regarde Greta ». C’est vraiment ce qui est en train de se passer. On le constate après chaque action de notre mouvement. On le constatera sûrement encore ce soir ou demain, dans les commentaires des articles sur Internet, ou dans la bouche de certains politicards.

Le procédé est toujours le même: nous ridiculiser pour nous faire oublier leur propre incompétence, leur propre indécence, et leur volonté de ne surtout rien changer à leurs vies confortables, à leurs croyances rassurantes, et à leurs politiques destructrices.

Nous ne sommes pas dupes ! Gardons la tête haute et continuons la lutte. Celles et ceux qui passent leur temps à vomir sur notre révolte font déjà partie du vieux monde : nous n’avons plus rien à leur dire. Les autres, vous qui dites nous soutenir, prenez-nous au sérieux une bonne fois pour toutes. Écoutez vraiment ce qu’on a à vous dire, ce que vos enfants ont à vous dire. Aidez-nous à construire ce mouvement, quel que soit votre âge, quel que soit votre formation. Car dans la grande bataille pour la transition écologique et le changement de système, nous avons besoin de tout le monde.

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